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alain de benoist - Page 53

  • Les premières semaines d’Emmanuel Macron vues par Alain de Benoist...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Breizh info et consacré aux premières semaines d'Emannuel Macron comme président de la République... Philosophe et essayiste, éditorialiste du magazine Éléments, Alain de Benoist dirige les revues Nouvelle Ecole et Krisis et anime l'émission Les idées à l'endroit sur TV Libertés. Il a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017) ainsi qu'un recueil d'articles intitulé Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et une étude sur L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

     

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    Pour Alain de Benoist, la réforme du code du travail pourrait entrainer des réactions violentes

    Breizh-info.com : Quelle est votre analyse, quelques jours après les élections législatives ? Que vous inspirent la nomination du nouveau gouvernement et les premières semaines d’Emmanuel Macron à la tête du pays ?

    Alain de Benoist : En refusant de se situer par rapport au clivage droite-gauche, afin de rassembler les « progressistes » et les libéraux de tous bords, Emmanuel Macron a accompli un double exploit : se faire élire président de la République dans les conditions que l’on sait et faire disparaître du paysage politique l’essentiel de l’ancienne classe dirigeante. Au-delà de l’ampleur de sa victoire aux élections législatives, ce qui frappe le plus, c’est l’ampleur du renouvellement qu’elle a provoqué. Le gouvernement est pour l’essentiel constitué de personnes inconnues du grand public (le plus souvent des énarques et des hauts fonctionnaires), et la vaste majorité des nouveaux députés, inconnus eux aussi, n’ont aucune expérience de la vie politique.

    Un pareil renouvellement, avec ce qu’il comporte de rajeunissement et de féminisation de la représentation nationale, ne s’était jamais vu dans toute l’histoire de la Ve République. Les deux anciens grands partis de gouvernement en sont les principales victimes : les socialistes sont réduits à l’état de groupuscule, les républicains sont en passe de se casser en deux, sinon en trois. C’est en cela, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, que l’élection de Macron représente un événement véritablement historique.

    Deuxième observation : le style Macron se précise, et tout donne à penser que l’homme est fondamentalement un autocrate. Le départ des ministres MoDem du gouvernement montre qu’il n’est pas homme à tergiverser. Il a fait accéder à la députation des hommes et des femmes qui n’ont pas été désignés par la base, mais sélectionnés d’en haut, selon des procédures d’embauche commerciale, par une commission à ses ordres. Ces nouveaux députés, plus inexpérimentés les uns que les autres, voteront comme un seul homme tout ce qu’on leur demandera de voter, à commencer par le recours aux ordonnances. Avec un Parlement transformé en simple chambre d’enregistrement, le renouvellement dont se réjouissent tant les médias se traduira donc par la neutralisation du pouvoir législatif.

    Breizh-info.com : L’abstention équivaut au fait que dix régions administratives sur treize ne seraient pas allées voter. La France est-elle en état de sécession avancée ?

    Alain de Benoist : L’abstention a effectivement battu tous les records (51 % au premier tour, 57,4 % au second). Mais, comme l’a dit Mélenchon, une vague d’une telle importance a un sens. Elle n’exprime pas seulement une lassitude bien compréhensible à l’issue d’une séquence électorale à six tours, voire le fatalisme et le sentiment que les jeux étaient faits d’avance (« après tout, on verra bien comment il va s’y prendre »). Elle ne touche pas indistinctement tous les milieux. Ce qui importe est donc de savoir qui s’est abstenu. Or, la réponse est claire : ce sont essentiellement les classes populaires qui se sont abstenues, et les classes supérieures qui ont le plus voté.

    On a pu dire qu’avec les nouveaux députés LREM, c’est la « société civile » qui entre au Parlement. C’est un leurre – qui traduit d’ailleurs bien ce que la classe dominante entend par « société civile ». Presque tous les nouveaux impétrants appartiennent aux professions libérales et aux classes supérieures (CSP +). Les classes populaires, pour ne rien dire des ouvriers, ne sont tout simplement pas représentées. Le bloc libéral macronien, pour reprendre l’expression des économistes Bruno Amable et Stefano Palombari, c’est le « bloc bourgeois ».

    La base sociale de LREM reste de ce fait très fragile. Les députés macroniens peuvent bien détenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale (306 sièges sur 577), ils ne représentent que 13 ou 15 % de l’électorat. Cela signifie que le « bloc bourgeois », quoique politiquement majoritaire, reste socialement minoritaire. Si l’on additionne les abstentions, les votes blancs et les votes nuls, il n’est pas exagéré de dire qu’une majorité de Français se trouvent aujourd’hui en état de sécession. Et que la ligne de fracture recoupe largement les frontières de classe.

    Breizh-info.com : La réforme du Code du travail ?

    Alain de Benoist : Elle vise, comme on le sait, à renverser la hiérarchie des normes existantes. Alors que jusqu’à présent le principe du droit du travail était que toute norme inférieure devait être conforme ou compatible avec la norme supérieure (ce qui signifiait qu’on ne pouvait pas accorder aux salariés moins que ce que prévoyait la norme supérieure), Emmanuel Macron veut faire en sorte que les accords d’entreprise priment désormais sur le contrat de travail défini par les normes nationales, les accords de branche ou les négociations collectives, ce qui permettra de déroger à la loi grâce à des accords d’entreprise que les salariés, n’étant plus en position de force, devront souvent approuver sous menace de licenciements ou de délocalisation.

    Sous prétexte de baisser le « coût du travail », l’objectif est de généraliser la « flexibilité », c’est-à-dire la précarité, de faire disparaître un certain nombre de protections sociales, d’aboutir à une baisse générale des rémunérations, et subsidiairement de plafonner les indemnités en cas de licenciement abusif. Avec ces « réformes structurelles », il s’agit donc de démanteler les fondements mêmes du droit du travail afin de soumettre les salariés aux exigences du capitalisme actionnarial, conformément aux vœux de la Commission européenne et du patronat. On favorisera ainsi le dumping social et l’on multipliera les « travailleurs pauvres » à l’exemple de ce qui s’est passé en Angleterre et en Allemagne. Mais on ne résoudra pas pour autant le problème du chômage, car la baisse ou la stagnation du pouvoir d’achat pèsera sur la demande, et la baisse de la demande fera que les entreprises n’auront pas de motif d’embaucher.

    Il est peu probable que cela ne suscite pas des réactions qui pourraient être violentes. On peut d’ailleurs se demander si le projet macronien d’intégration dans le droit pénal ordinaire de mesures d’exception destinées à lutter contre le terrorisme ne vise pas surtout à donner au gouvernement des moyens supplémentaires de faire face aux remous sociaux.

    Breizh-info.com : Un mot sur le Front national, qui a obtenu huit députés. Le système n’a-t-il pas intérêt, de fait, à favoriser l’immobilisme avec un FN maintenu en vie, grâce à des subventions financières, et l’impossibilité de l’émergence de toute autre force d’opposition pendant cinq ans ?

    Alain de Benoist : Le système a surtout besoin de contenir les « extrêmes » en gonflant au maximum le groupe central qui vient de s’installer au pouvoir, même si la base sociale de celui-ci est extrêmement réduite. Cela dit, la recomposition en cours n’épargnera la famille politique qui se reconnaît aujourd’hui dans le Front national. A certains égards, le FN apparaît désormais, à l’instar des ex-grands partis aujourd’hui en déclin, comme un héritage du passé. C’est un parti de l’ancien monde. Cela vaut pour tous les partis et tous les mouvements de type classique, avec leur système d’adhésion vieillot, leurs congrès annuels, leurs motions de synthèse, etc. Cette forme politique-là est aujourd’hui épuisée.

    Beaucoup de voix appellent actuellement à la refondation d’un « grand parti de droite ». C’est assez paradoxal à un moment où chacun peut constater que la victoire de Macron tient avant tout au fait qu’il a su dépasser le clivage gauche-droite en se situant d’emblée dans une perspective contre-populiste. Macron a su surfer sur ce qui constitue aujourd’hui le nouveau clivage majeur, « perdants versus gagnants de la mondialisation », comme le dit Jérôme Fourquet, qui ajoute que ce nouveau clivage, qui travaille aujourd’hui en profondeur tous les pays européens, « a désormais pris suffisamment de force pour supplanter la traditionnelle opposition gauche-droite ». Cela n’interdit pas, bien sûr, de rêver à une future alliance de Marion Maréchal-Le Pen, Laurent Wauquiez et quelques autres. On verra ce qui en sortira.

    Breizh-info.com : Daech vient de détruire à l’explosif la mosquée Al Nouri de Mossoul, pourtant l’un des joyaux de l’islam. Comment expliquez-vous cette propension à faire table rase du passé, y compris de leurs symboles, chez les islamistes ?

    Alain de Benoist : La destruction de la mosquée Al Nouri s’explique en fait par des raisons de circonstances : les gens de Daesh ne voulaient tout simplement pas que les forces irakiennes régulières s’en emparent. La destruction de Palmyre était plus significative. La propension à faire table rase du passé, en détruisant tout ce qui en maintient le souvenir, tout ce qui témoigne d’un avant, est une attitude classique chez ceux qui s’imaginent pouvoir inaugurer de manière absolue une nouvelle page d’histoire. L’avenir est radieux, le passé est haïssable ou honteux. Les témoignages du passé, à commencer par les monuments, doivent disparaître parce qu’ils rappellent qu’il existait auparavant une autre façon de vivre, de voir et d’habiter le monde.

    Aux premiers siècles de notre ère, les chrétiens ont systématiquement détruit des milliers de statues et de temples antiques. La Révolution française s’est pareillement attaquée aux « symboles de la tyrannie ». L’idéologie du progrès, même si elle n’a pas entraîné les mêmes ravages, repose elle aussi sur la dévaluation de principe de l’hier. Dans le cas de certains monothéismes, la prescription iconoclaste aggrave encore les choses. Au bout de la chaîne, on en arrive à ces jeunes qui disent : « Ca ne m’intéresse pas, puisque quand ça a eu lieu je n’étais pas né ». Vieux désir maladif de vouloir tout (re)construire, y compris soi-même, à partir de rien.

    Breizh-info.com : Un homme a récemment attaqué une mosquée à Londres. L’Angleterre, et plus globalement l’Europe de l’Ouest, sont-elles en voie de guerre civile ?

    Alain de Benoist : Des incidents de ce genre sont appelés à se multiplier. Ils sont éminemment contre-productifs, puisque cela permet aux pouvoirs publics de vanter encore un peu plus les vertus du « vivre ensemble » et aux islamistes radicaux de faire monter une pression dont ils espèrent tirer profit. De là à y voir le signe avant-coureur d’une guerre civile il y a de la marge. La première condition de possibilité d’une véritable guerre civile, opposant des factions opposées d’une même population (si ce n’est pas la même population, ce n’est pas une guerre civile), c’est l’effondrement de fait de tous les pouvoirs institués. Nous n’en sommes pas encore là.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh info, 28 juin 2017)

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  • Réflexions sur le paganisme...

    Le numéro 47 de la revue Krisis, dirigée par Alain de Benoist, avec pour rédacteur en chef Thibaut Isabel, vient de paraître. Cette nouvelle livraison est consacrée au paganisme.

    Vous pouvez commander ce nouveau numéro sur le site de la revue Krisis ou sur le site de la revue Eléments.

    Bonne lecture !

     

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    " Comment peut-on être païen ? Cette question ne manquera pas d’étonner dans une Europe très largement christianisée, où l’adoration des dieux ne signifie plus rien et semble renvoyer à un tissu primitif de superstitions. Si l’on sondait l’opinion, gageons que nos contemporains ne verraient dans la résurgence du paganisme qu’un épiphénomène dérisoire et incompréhensible. Les mystères du Christ et de la Trinité suscitent déjà les moqueries de bien des athées, et la fréquentation des Églises subit une chute sans précédent. Pourquoi diable irait-on s’éprendre de divinités d’un autre âge ? Et pourquoi se donnerait-on la peine de prendre au sérieux les religions de l’Antiquité ?

    La littérature universitaire souffre d’une méconnaissance profonde de ce courant cultuel. Nous ne comprenons même plus que des peuples civilisés aient pu prier Zeus, Athéna ou Apollon. Pendant des siècles, l’étude des religions anciennes est restée cantonnée à l’exégèse critique formulée par les historiens chrétiens, avant de passer entre les mains d’universitaires laïques qui, en dehors de quelques exceptions notables, n’ont jamais réellement cherché à saisir leur sujet de l’intérieur. L’heure est donc plus que jamais venue de reprendre avec honnêteté le déchiffrement de la théologie païenne. "

     

    Au sommaire de Krisis n°47

    Entretien avec Marc Halévy / Les sagesses anciennes et leurs héritiers.

    Jean-François Gautier / La théogonie d’Hésiode.

    Thibault Isabel / Est-il donc si absurde d’adorer des dieux?

    Entretien avec Michel Maffesoli / Catholicisme et paganisme.

    Diane Rivière / Le patrimoine païen au fond de l’âme postmoderne.

    Philippe Forget / La Fortune, divinité de l’Occident.

    Alain de Benoist  / Le massacre des Saxons païens de Verden.

    Baptiste Rappin / Du paganisme à la philosophie ou la dimension chtonienne de la raison.

    Falk Van Gaver / Une religion de la nature ?

    Jean-François Gautier / Damascios et le néoplatonisme païen.

    Entretien avec Françoise Bonardel / Un dieu à venir?

    Alain Gras / La gnose, une pensée de tous les temps.

    Jean Guiart / Les missionnaires occidentaux face au «paganisme» dans le Pacifique sud.

    Károly Kerényi / Le texte : L’esprit de la fête dans les religions antiques (1940). 

     

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  • L'écriture runique et les origines de l'écriture...

    Les éditions Yoran viennent de publier un essai d'Alain de Benoist  intitulé L'écriture runique et les origines de l'écriture. Écrivain, philosophe, Alain de Benoist est l’auteur de nombreux livres consacrés surtout à la philosophie politique et à l’histoire des idées, mais aussi à l’histoire des religions, à l’archéologie, à la protohistoire et aux traditions populaires. Il a publié dernièrement Ce que penser veut dire (Rocher, 2017).

     

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    " Utilisée par les Germains à partir du Ier siècle de notre ère pour transcrire diverses langues germaniques antérieurement à l’alphabet latin, puis concurremment avec lui, l’écriture runique, attestée par plusieurs milliers d’inscriptions, reste à certains égards une énigme. Du fait de son apparition relativement tardive, les spécialistes se divisent entre ceux qui la font dériver du latin, ceux qui la rattachent à l’alphabet grec et ceux qui font appel aux alphabets nord-italiques (ou « nord-étrusques »). Mais aucune de ces solutions n’est de nature à expliquer les particularités spécifiques de l’écriture runique : l’ordre des lettres, qui diffère totalement de celui des alphabets méditerranéens, leur regroupement en trois séries immuables de huit runes (les ættir), le fait que chaque rune porte un nom qui lui est propre (le phonème initial de ce nom déterminant la valeur phonétique de la rune), etc.

    En s’en tenant aux données strictement scientifiques, à l’exclusion de toutes les interprétations fantaisistes qui ont fleuri depuis deux siècles, ce livre reprend l’ensemble du dossier. Il examine les arguments en présence, aborde la question d’un usage symbolique ou « magique » des runes antérieur à leur usage comme écriture, s’interroge sur la possible homologie des ættir et des trois phases du cycle lunaire, puis dresse un bilan plus général de ce que l’on sait actuellement sur l’apparition et la diffusion de l’écriture en Europe."

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  • Raskar Kapac en cavale avec Friedrich Nietzsche...

    Gazette artistique et inflammable, Raskar Kapac sort un septième numéro consacré à Nietzsche dans lequel on trouvera notamment des entretiens avec Michel Maffesoli, Alain de Benoist et Guillaume de Tanoüarn. On pourra également y lire un texte dédié à la mémoire de Martin McGuinness, un des anciens chefs militaires de l'IRA.

    Une gazette à suivre donc, dont le prochain numéro sera consacré à Henry de Monfreid.

    On peut trouver Raskar Kapac sur le site de la revue mais aussi dans quelques points de vente en France.

     

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  • Identité et souveraineté...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question des relations entre les notions d'identité et de souveraineté... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist vient de publier Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017) et Ce que penser veut dire (Rocher, 2017).

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    Alain de Benoist : Identité et souveraineté - deux notions indissociables

    Dans certains milieux, on a tendance à opposer entre elles deux notions dont tout le monde parle aujourd’hui : l’identité et la souveraineté. Au Front national, Marion Maréchal-Le Pen aurait représenté la première, par opposition à Florian Philippot, qui défend avant tout la seconde. Une telle opposition vous paraît-elle légitime ?

    Interrogée il y a quelques mois dans le magazine Causeur, Marine Le Pen déclarait : « Mon projet est intrinsèquement patriote parce qu’il défend dans un même mouvement la souveraineté et l’identité de la France. Quand on oublie l’un des deux, on triche. » Alors, ne trichons pas. Pourquoi faudrait-il voir dans l’identité et la souveraineté des idées opposées, alors qu’elles sont complémentaires ? La souveraineté sans l’identité n’est qu’une coquille vide, l’identité sans souveraineté a toutes chances de se transformer en ectoplasme. Il ne faut donc pas les séparer. L’une et l’autre, au demeurant, sont transcendées dans la liberté. Être souverain, c’est être libre de déterminer par soi-même sa politique. Conserver son identité implique, pour un peuple, de pouvoir décider librement des conditions de sa reproduction sociale.

    Alors que l’identité est un concept nécessairement flou, la souveraineté n’est-elle pas plus facile à définir ?

    Moins qu’il n’y paraît. La souveraineté « une et indivisible » dont se réclame Jean Bodin dans Les Six Livres de la République (1576) n’a pas grand-chose à voir avec la souveraineté répartie, fondée sur la subsidiarité et le principe de compétence suffisante, dont parle Althusius en 1603 dans sa Politica methodice digesta. La démarche de Bodin est éminemment moderne. Elle implique l’État-nation et la disparition de la distinction que l’on faisait auparavant entre le pouvoir (potestas) et l’autorité ou la dignité du pouvoir (auctoritas).

    La souveraineté bodinienne a ceci de dangereux qu’en faisant du souverain un être qui ne saurait dépendre d’un autre que de lui-même (principe individualiste), elle rend aveugle aux communautés naturelles et supprime toute limite au despotisme : tout ce qui fait entrave à la décision du prince est considéré comme une atteinte à son indépendance et à sa souveraineté absolue. On perd ainsi de vue la finalité du politique, qui est le bien commun.

    La souveraineté populaire est, en outre, différente de la souveraineté nationale ou de la souveraineté étatique. La première fonde la légitimité du pouvoir politique, tandis que les secondes se rapportent au champ d’action et aux modalités d’action de ce pouvoir. Jacques Sapir, de son côté, distinguait récemment le souverainisme social, le souverainisme identitaire et le souverainisme de liberté, « qui voit dans la souveraineté de la nation la garantie de la liberté politique du peuple ». Le souverainisme identitaire, observait-il, n’est nullement incompatible avec l’ordre des choses néolibéral, alors que le souverainisme national et social en rejette tout naturellement la tutelle.

    Il ne faut pas oublier, non plus, qu’il pourrait très bien exister une souveraineté européenne, même si celle-ci n’est aujourd’hui qu’un rêve. Le drame, de ce point de vue, n’est pas que les États-nations aient vu disparaître des pans entiers de leur souveraineté (politique, économique, budgétaire, financière et militaire), mais que celle-ci soit allée se perdre dans le trou noir des institutions bruxelloises sans avoir jamais été reportée à un niveau supérieur.

    Que dire, alors, de l’identité, aujourd’hui devenue une revendication et un slogan, mais dont on peut donner les définitions les plus différentes ?

    Qu’elle soit individuelle ou collective, l’identité n’est jamais unidimensionnelle. Lorsque nous nous définissons au moyen de l’une ou l’autre de ses facettes, nous disons seulement quelle est la dimension ou le trait distinctif de notre identité que nous estimons être le plus important pour exprimer ce que nous sommes. Une telle démarche contient toujours une part d’arbitraire, même quand elle s’appuie sur des données qui peuvent être empiriquement vérifiées.

    Un individu doit-il attacher plus d’importance à son identité nationale, linguistique, culturelle, religieuse, sexuelle, professionnelle ? Il n’y a pas de réponse qui s’impose. Pour un peuple, l’identité est indissociable d’une histoire qui a façonné la sociabilité qui lui est propre. La revendication ou la protestation identitaire apparaît lorsque cette sociabilité semble menacée de dissolution ou de disparition. Il s’agit, alors, de lutter pour que se perpétuent des modes de vie et des valeurs partagés. Mais il ne faut pas se faire d’illusion : l’identité se prouve plus encore qu’elle ne s’éprouve, faute de quoi on risque de tomber dans le fétichisme ou la nécrose. Pour les individus comme pour les peuples, c’est la capacité de création qui exprime le mieux la perpétuation de la personnalité. Comme l’écrit Philippe Forget, « un peuple n’exprime pas son génie parce qu’il est doté d’une identité, mais il manifeste une identité parce que son génie l’active ».

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 30 mai 2017)

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  • Rélexions après la défaite...

     Nous reproduisons ci-dessous un point de vue Javier Portella, cueilli sur Polémia, dans lequel il analyse les raisons de l'échec du mouvement national et de sa stratégie populiste de conquête du pouvoir...

    Javier Portella est l'auteur d'un essai remarquable intitulé Les esclaves heureux de la liberté (David Reinarch, 2012).

     

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    Réflexions après la défaite

    Que se passerait-il si jamais, d’aventure, on gagnait les élections ? Posons-nous la question maintenant qu’on vient de les perdre. Et on vient de les perdre lorsque, pour la première fois depuis des décennies, un germe d’espoir, un embryon de changement – et changement profond, radical : non pas un simple ravalement de façade – avait vu le jour en Europe. Dans trois pays et à trois reprises consécutives – l’Autriche, les Pays-Bas et, la plus retentissante, la France – il semblait que des partis alternatifs avaient de grandes chances de remporter la victoire. Aucun ne l’a fait. Davantage, les résultats de Marine Le Pen ont été, surtout après son calamiteux débat télévisé, inférieurs à ce qu’on entend par une défaite honorable.

    Et pourtant, jamais l’ambiance culturelle, intellectuelle, n’a été aussi favorable aux idées politiquement incorrectes, rebelles, iconoclastes : en rupture avec le Système. L’ambiance culturelle, spirituelle, certes… Mais, et l’ambiance sociale ? Brisant l’hégémonie exercée pendant des décennies par le marxisme et remplissant le vide laissé par une pensée de droite tout simplement inexistante, de grandes figures des lettres et de la pensée sont apparues qui tiennent le haut du pavé : les Houellebecq, Zemmour, Finkielkraut, Onfray… dont les livres se vendent par des centaines de milliers d’exemplaires et auxquels on peut désormais joindre un Alain de Benoist de moins en moins démonisé. En même temps, et grâce à Internet, tout un large réseau de médias alternatifs – la « réinfosphère », appelée par ses adversaires la « fachosphère » – accomplit la grande tâche de réinformer en brisant le monopole exercé par les médias au service du Système.

    Face à une telle situation, comment ne pas exulter, ne pas jubiler ? Notre joie était, et elle demeure, toujours légitime ; mais si les choses sont envisagées à court terme, elle est trompeuse aussi. Pour importante que soit la réinfosphère, elle est comme une goutte d’eau perdue dans l’océan des médias éléphantesques que nous subissons. Et en ce qui concerne la pensée exprimée par des intellectuels talentueux et pleins de succès, c’est évidemment de pensée, d’idées, qu’il s’agit : quelque chose qui est on ne peut plus éloigné des inquiétudes de l’électeur moyen – celui dont l’addition ouvre les portes du pouvoir.

    Cela étant, comment envisager sérieusement que cette addition puisse atteindre, ne serait-ce qu’une fois, les 50,1% des voix qui mènent au paradis (ou à l’enfer) du pouvoir ?

    La chose semble impossible, ce qui est d’ailleurs tout à fait logique : le seul sens de la démocratie est de régler l’accession au pouvoir des forces qui, partageant la vision libérale du monde, configurent le Système. Ni la démocratie ni aucun autre Système n’ont pour mission de faciliter l’accession au pouvoir à ceux qui prônent une vision radicalement différente de celle qui façonne le monde.

    Or, ce n’est pas là ce que disent la doctrine, la loi et la propagande libérales. Elles disent même tout le contraire. D’un point de vue légal, affirment-elles, et elles ont raison, aucune alternative, aucun projet n’est supérieur aux autres. Le manteau du droit les enveloppe tous de la même façon. Rien, dès lors, n’empêche que des opposants au Système parviennent un jour à obtenir ce 50,1% des voix qui mène au pouvoir. D’un point de vue légal, en effet… Mais la loi c’est la loi, et la réalité, la crue réalité. Si l’on s’en tient à cette dernière et au pouvoir de ceux qui y sont aux commandes, il est clair qu’une telle possibilité semble invraisemblable. Supposons, toutefois, qu’elle ne le soit pas. Supposons qu’au moins à une occasion le miracle s’accomplisse. Que passerait-il une fois que les rebelles auraient atteint le pouvoir ?

    Le deep State

    Il se passerait… cela même qui est en train de se passer aujourd’hui aux Etats-Unis – et se serait passé en France si Marine Le Pen avait remporté les élections. Il se passerait que les rebelles parvenus au pouvoir se trouveraient dans l’impossibilité de l’exercer. Comme cela est en train d’arriver à ce curieux milliardaire qu’est Donald Trump. Sa rébellion n’est, bien entendu, que fort partielle : grand capitaliste, l’homme applique et défend… le capitalisme, en même temps qu’il s’en prend aux idéologies (féminisme, idéologie de genre, multiculturalisme migratoire…) dont le Système se drape aujourd’hui, tout en combattant la mondialisation économique et culturelle que celui-ci met en œuvre. Pour ce faire, Trump prend des mesures qui sont jour après jour boycottées par l’appareil de l’Etat (auquel se joignent les pouvoirs financier et médiatique). Il se heurte de la sorte à tout ce deep State qui finira, soit par chasser Trump avec un impeachement, soit par réussir que ce soit lui-même qui, s’accrochant tel un naufragé à son radeau, dénature ou cesse d’appliquer les politiques pour lesquelles il a été élu.

    Quelle naïveté !… Comment peut-on croire qu’il en aille autrement ? Comment peut-on imaginer qu’il suffise d’atteindre 50,1% des voix pour que tout un Système – économique, politique, médiatique, social… et mental – change paisiblement de peau, transforme sa chair, renouvelle son sang ? Comme si les maîtres du pouvoir étaient assez sots pour le lâcher sans plus ! Des transformations d’une telle envergure n’ont jamais été faites ni ne se feront jamais à travers de simples victoires électorales. Celles-ci ne peuvent, tout au plus, qu’apporter un soutien ou une concrétisation à tout un processus qui a un nom aussi clair que bien connu : révolution.

    Mais la révolution que notre monde exige s’il veut être sauvé n’est pas l’affaire d’un jour. Ou d’un soir : elle n’est pas l’affaire du Grand Soir dont tous les révolutionnaires rêvent, que ce soit du Grand Soir d’une victoire électorale, ou du Grand Soir de la prise du palais présidentiel. Dans les deux cas, l’approche est au fond la même : plus élégante et moins sanglante dans le premier cas, c’est tout.

    Sommes-nous vraiment conscients de l’enjeu, proprement extraordinaire, dans lequel notre monde se débat ? J’en doute, car si nous en étions vraiment conscients, l’impatience nous tarauderait bien moins. La clairvoyance et la patience seraient alors nos alliées ; elles découleraient de la prise de conscience d’un enjeu si colossal qu’il nous rapproche, par son envergure, des deux principaux processus révolutionnaires que notre civilisation a connus : le processus par lequel le monde de l’Antiquité devint le monde chrétien, et celui par lequel le monde aristocratique devint le monde démocratique et bourgeois – des choses qui ne furent certainement accomplies ni lors d’un Grand Soir ni lors de cent. Dans le premier cas, le processus dura quatre siècles (dès la naissance du Christ jusqu’à l’édit de Théodose en 380) ; dans le deuxième cas, même si le processus ne se concrétisa que lors de la dernière décennie du XVIIIe siècle et les premières du XIXe, c’est l’ensemble des Temps Modernes qui peuvent être considérés comme un sourd, lent acheminement vers sa réalisation.

    Le grand enjeu du monde d’aujourd’hui

    Tout un profond processus de changement mental, social, idéologique est aujourd’hui en jeu. (Qu’il soit en jeu, il n’y a pas de doute, mais rien ne peut nous dire avec certitude ni qui finira par emporter la partie, ni dans combien d’années… ou de décennies celle-ci prendra fin.) Or, si ce qui est en jeu est tout un processus qu’on peut qualifier de révolutionnaire, celui-ci a très peu à voir avec ce qu’on entend couramment par révolution : celles, notamment, des XIXe et XXe siècles. D’une part, il n’y a plus ici le sectarisme, la prépotence et l’autoritarisme qui ont tellement marqué l’esprit révolutionnaire de ces temps-là. Et ce qui est tout aussi important : on a cessé de croire au Grand Soir, on a compris (même si les anciennes inerties font que, parfois, on se fasse sottement des illusions) que le monde ne saurait être transformé ni en gagnant des élections ni en prenant d’assaut le Palais d’Hiver. Transformer le monde de fond en comble, cela ne se fait pas par la simple action politique. Cela se fait à travers un long travail de ce qui a reçu le nom de métapolitique : en modifiant les mentalités, en influençant les espoirs, en marquant les sensibilités.

    Or, toutes ces actions étant faites au moyen de la parole, on a fini par croire que celle-ci suffit à la besogne – et ce n’est pas du tout le cas. Aussi persuasif qu’un discours puisse être, il ne suffit pas de le déployer pour qu’un nouveau consensus social voie le jour. La parole est indispensable, mais insuffisante aussi. Si, dans la Rome hostile, les chrétiens s’étaient par exemple bornés à leurs prêches et sermons, le monde n’aurait jamais été transformé comme il le fut grâce à l’action de ceux qui, outre des sermons, parvinrent à mettre sur pied toute une extraordinaire infrastructure axée sur la philanthropie active. C’est l’empereur Julien (« l’Apostat », comme l’Eglise le surnomme) qui le reconnaît lui-même, et c’est Louis Rougier qui le souligne en rappelant que « les nombreuses institutions d’assistance et de bienfaisance que les églises avaient fondées, alimentées par les donations des riches, contribuèrent pour beaucoup au triomphe du christianisme » (*).

    Alimentées par les donations des riches… Voilà l’autre aspect de la question. Nul doute que les pauvres (aussi bien ceux dépourvus de biens matériels que les pauvres d’esprit auxquels le royaume des cieux est promis) constituèrent le socle social du christianisme naissant ; mais si les nouvelles idées et croyances n’avaient pas touché aussi une fraction importante des élites romaines, leur triomphe eût été impossible. Comme il eût été également impossible le triomphe des Lumières et de la Révolution si leurs idées et aspirations n’avaient été que l’affaire des bourgeois et du petit peuple ; si la nouvelle vision du monde, autrement dit, ne s’était pas également glissée au sein d’une aristocratie qui n’imaginait pas un seul instant – parfois l’Histoire aime bien à se moquer – que leurs têtes seraient coupées et leur pouvoir renversé.

    C’est si évident !… Il est impossible de renverser tout un système articulé d’idées et de valeurs si les élites qui l’incarnent ne sont pas contaminées, d’une façon ou d’une autre, par les nouvelles idées qui frappent à la porte. D’où la question, décisive : qu’en est-il parmi nous ? Il n’en est rien. Nos élites – misérables et indignes, mais qui se tiennent aux commandes – sont pures, incontaminées : nulle influence n’est exercée sur elles par les idées qui sont en train de germer. Reconnaissons cependant que s’il en est ainsi, c’est aussi parce que personne, parmi nous, n’a jamais songé à gagner, peu ou prou, les élites à nos idées – comme le christianisme gagna (partiellement, certes) l’aristocratie de Rome, et le libéralisme, celle de l’Europe.

    Le « peuple périphérique » et « le peuple central »

    D’une part, les élites ; d’autre part, le peuple. En effet. Seul le peuple peut devenir le grand moteur permettant qu’un jour se voient concrétisés les profonds changements que tout cela implique. Le peuple, les braves gens frappés par la crise et la mondialisation ; les couches populaires qui connaissent encore l’attachement à la terre, le respect des traditions, l’amour de la patrie (ou de ce qu’il en reste). « Des braves gens, disait le poète Antonio Machado, qui vivent, travaillent, passent et rêvent » ; des gens qui, « s’il y a du vin, ils en boivent, sinon ils boivent de l’eau fraîche ». Des braves gens qui, éloignés des monstres urbains et établis dans ce qui reste de la campagne ou dans les petites et moyennes villes de province – dans « la France périphérique », comme l’appelle Christophe Guilluy –, sont toujours attachés à « la décence commune » dont parlait George Orwell.

    Des braves gens, des gens simples et bons. Ce sont eux – « les déplorables », comme les qualifiait Hillary Clinton – qui ont porté Donald Trump au pouvoir (non : pas au pouvoir, nous l’avons déjà vu ; rien qu’à la présidence). Ce sont eux aussi qui ont voté pour Marine Le Pen.

    Il suffit pourtant de rappeler de tels faits, et les choses se compliquent considérablement. Car si la confrontation se passe entre « le peuple » et « les élites » ou, en termes territoriaux, entre « les provinces » et « les métropoles », ou entre « la périphérie » et « le centre », il en découle qu’il y a bien un autre peuple aussi : celui qui, occupant cet « espace central » que sont les grandes villes et ayant un nombre d’habitants égal, sinon plus grand que celui du « peuple périphérique », apporte son soutien à nos élites ignobles et dépravées. On pourrait même dire, au vu d’une telle servitude volontaire, que ce peuple fait même partie des élites : non pas de leur pouvoir, non pas de leur train de vie, mais bien de leur esprit, de leurs craintes et envies. Ou est-ce peut-être qu’ils ne font pas partie du peuple, tous ces petits gens qui à New York, à Los Angeles, à Philadelphie… se sont massivement mis au côté d’Hillary Clinton et de ce qu’elle représente ? Est-ce qu’ils ne font pas partie du peuple, tous ces employés et scribouillards, fonctionnaires, ouvriers (moins qu’avant, mais il en reste encore), boutiquiers, étudiants, travailleurs indépendants, petits entrepreneurs… de Paris, dont seulement 50.000 misérables voix ont été rassemblées par Marine Le Pen au premier tour des élections, tandis qu’au second tour ce même peuple de Paris plébiscitait le représentant de la ploutocratie mondialiste et apatride, Emmanuel Macron, avec rien moins que 95% des voix ? Tous ces gens-là, loin d’être des braves gens, seraient-ils des mauvaises gens : du peuple devenu de la racaille ?

    La racaille est bien là : celle des bandes de jeunes délinquants souvent venus d’ailleurs ; celle de nombreux migrants, arabes ou noirs, qui, avec ou sans sa carte d’identité en poche, ne se sentent pas français mais n’en font pas moins partie, dans une approche populiste stricto sensu, du peuple de Paris ou de celui de n’importe quelle grande ville. Mais ce ne sont pas eux qui importent ici. Ce ne sont pas eux qui composent (pour l’instant) la majorité de la population.

    Or, c’est la majorité de la population – le centre, et non seulement la périphérie – qu’il faut conquérir. Sans faire de concessions, bien sûr, mais avec l’intelligence nécessaire pour leur faire comprendre plusieurs choses d’une extrême importance.

    Pour leur faire comprendre, par exemple, que faire de l’argent, entreprendre des affaires, c’est légitime, c’est nécessaire. « Enrichissez-vous ! », comme disait François Guizot, le ministre de Louis-Philippe. Enrichissez-vous, mais avec bon sens et modération : en fuyant l’hubris, la démesure que les Grecs craignaient comme la peste et qui conduit, entre autres, à nous écraser, nous qui ne nous enrichissons ni ne le prétendons, mais qui n’avons pas pour autant à nous appauvrir (ou à tomber dans la précarité : cette pauvreté de nos jours). Ce n’est pas la richesse qu’il faut fuir ; c’est cette démesure qui fait qu’aussi bien les oligarques que leurs victimes considèrent les richesses et l’enrichissement comme le destin même de l’Humanité : un destin qui a dès lors pour seul attrait l’hédonisme plat et vulgaire qui, réduisant tout à un « bonheur » fait d’argent, consommation et divertissement, ignore tout devoir et toute contrainte.

    Fuyons un tel hédonisme, mais ne tombons pas pour autant dans l’ascétisme et ses rigueurs ; assumons, par contre, la seule joie grande et véritable : celle de ceux qui, sachant se sacrifier quand il le faut, savent également jouir dans la joie et dans la volupté.

    Il s’agit finalement de faire comprendre à tous, aussi bien au peuple corrompu par les élites qu’à la partie de celles-ci dont les oreilles ne seraient pas encore tout à fait bouchées, que nous sommes tous embarqués sur le même bateau, attelés au même sort : celui de vivre et de mourir sans la sûreté d’un port à atteindre, plongés dans le va-et-vient et les incertitudes d’un monde qui, dépourvu d’appuis auxquels s’attacher et de Destin auquel se vouer, doit et peut trouver dans une telle indétermination – mais à la condition de déployer des doses extrêmes de courage et d’endurance – le plus haut destin dont on puisse rêver.

    Tant qu’à faire comprendre des choses (à propos, combien de fois a-t-on essayé d’expliquer de telles choses aux gens ?), il faut également faire comprendre – à tous : aux élites, au « peuple central » et au « peuple périphérique » – que, certes, nous sommes conservateurs ; certes, nous affirmons la tradition, ce lien avec nos ancêtres qu’il est indispensable de conserver. Mais conserver… quoi, au juste ? Ce qu’il faut absolument conserver, ce sont les grandes valeurs de notre culture, de notre civilisation, mais en jetant par-dessus bord – hé oui, nous sommes aussi révolutionnaires ! – tout ce qu’il faut rejeter du rance, guindé, étriqué esprit conservateur. Qu’ils soient rassurés, les hommes et les femmes libres qui craignent pour leur liberté : ni le puritanisme ni le rigorisme ne vont marquer le monde nouveau qu’entre tous… ou luttant entre tous nous allons tôt ou tard forger.

    Qu’ils soient également rassurés ceux qui, attachés aux droits de l’individu, craignent qu’à force d’affirmer la dimension collective de l’existence – la patrie, l’enracinement historique… : ces choses qui les énervent tellement –, ce soit l’autonomie individuelle qui en pâtisse ou se voie anéantie. Qu’ils se rassurent : c’est exactement tout le contraire qui se passe. C’est lorsque les liens collectifs se voient dissous, c’est lorsqu’il se produit la perte de cette continuité temporelle qu’est l’histoire d’un peuple ; c’est lorsque l’homme reste tout nu et dépourvu de destin, voué à la mort ; c’est, en un mot, lorsque l’homme apatride règne, que le royaume des hommes libres – ces personnalités fortes et différenciées – se voit remplacé par le grand amoncellement de l’homme masse, indifférencié et impersonnel : cette sorte de zombi grégaire qui va errant d’aéroport en aéroport, de ville en ville, de haute tour de bureaux en haute tour d’appartements dans un monde aussi indistinct que mondialisé, dépourvu d’histoire, privé de personnalité.

    Ici aussi il faut pourtant préciser les choses, tout comme elles l’ont été lorsque différents travers de l’esprit conservateur ont été chassés. Il y en a encore un qu’il faut repousser : le chauvinisme, cette hubris faite de fanatisme, bourrée d’outrances, qui, croyant défendre la patrie, ne fait que l’embourber dans la fange d’une vanité aussi pompeuse que creuse ; dans une vulgarité sectaire et grossière qui fait que les chauvins, se prenant pour les coqs du village, méprisent et harcèlent leurs voisins, ceux qui appartiennent, pourtant, à leur même lignage, ceux avec lesquels ils partagent, en Europe du moins, un même mais différencié destin.

    Le chauvinisme, cette peste qui, s’étant emparée de l’Europe, la détruisit il y a un siècle, ne peut être vaincu ni par l’individualisme mondialisé ni par l’atomisme indifférencié. Le chauvinisme ne peut être vaincu que par les liens de la communauté qui embrassent et, en embrassant, libèrent ; et en prodiguant leur chaleur, agrandissent. Rappelons de telles choses aussi bien au « peuple périphérique » qu’au « peuple central ». Au premier, à ce peuple qui croit encore à un destin collectif, pour éviter que la tentation chauvine (même si aujourd’hui on ne peut la déceler nulle part) ne puisse un jour s’emparer à nouveau de lui. Rappelons de telles choses à l’autre peuple aussi, à celui qui dans les grandes villes surtout ne croit plus à rien. Faisons tout pour le convaincre que ce n’est qu’en assumant les liens de son destin collectif qu’il pourra sortir de la mort qui nous laisse nous tous – nous aussi, car aucune communauté ne peut s’asseoir sur une seule moitié de sa population – nus et sans rien.

    Javier Portella (Polémia, 28 mai 2017

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